Le capital social au Togo est évalué à travers des indicateurs tels que la participation aux associations d’entraide, l’accès à l’assurance maladie et l’engagement civique (Kawachi& Berkman, 2000 ; Woolcock &Narayan, 2000). Putnam (2000) définit le capital social comme des réseaux et des normes de réciprocité, soulignant la participation civique. Kawachi et Berkman (2000) le lient à la santé publique, tandis que Woolcock et Narayan (2000) l’appliquent au bien-être. Glaeser et al. (2002) considèrent le capital social comme un investissement individuel façonné par l’horizon temporel et les rendements attendus, offrant des perspectives sur sa formation au Togo. Selon les rapports QUIBB, la participation aux associations d’entraide est passée de 60 % en 2011 à 55 % en 2015, tandis que la couverture d’assurance maladie a augmenté de 10 % à 18 % (INSEED, 2011, 2015) avec une dynamique notoire ces dernières années. Un régime d’assurance maladie universel, introduit en 2021, est en pleine évolution dans la couverture de la population à la fin de l’année (BTI, 2024). L’enquête régionale intégrée de 2017 a montré une confiance institutionnelle élevée (69,3 %) et une sécurité personnelle en pleine amélioration.Une étude menée par des chercheurs togolais et publiée dans le « Journal of International Development » le 4 octobre 2024 apporte un éclairage nouveau sur les facteurs qui influencent le bien-être et la capacité de résilience des ménages au Togo, qu’ils soient en milieu urbain ou rural. Les auteurs, Afi Florence Akakpo, Koffi Sodokin et Mawuli Kodjovi Couchoro, tous affiliés au Centre de Recherche en Économie Appliquée et Management des Organisations (CREAMO) de l’Université de Lomé, ont exploré le rôle crucial du capital social dans la résilience des familles face aux chocs économiques et aux catastrophes naturelles. L’étude s’appuie sur les données de l’Enquête Régionale Intégrée sur l’Emploi et le Secteur Informel (ERI-ESI) menée au Togo en 2017, couvrant un échantillon représentatif de 7200 ménages et plus de 15000 individus. Pour garantir la robustesse de leurs résultats, les chercheurs ont employé une approche méthodologique à trois niveaux, combinant trois techniques économétriques complémentaires : l’appariement par score de propension, la régression à changement endogène, et les régressions quantiles à variables instrumentales.
Le capital social : un atout majeur pour le bien-être des ménages
Les graphiques issus de la régression polynomiale montrent l’impact du capital social sur la résilience et le bien-être, en prenant en compte le sexe et le milieu de résidence (rural ou urbain). Il apparaît que l’accès au capital social est positivement corrélé à des niveaux plus élevés de résilience (ligne bleue), surtout en milieu rural. De même, le bien-être (ligne rouge) est également influencé positivement par le capital social, avec une probabilité accrue de bonheur chez les personnes bénéficiant de réseaux sociaux solides, particulièrement chez les femmes et dans les zones rurales.

Les résultats de l’étude montrent l’influence significative et nuancée du capital social sur le bien-être et la résilience des ménages togolais. Globalement, l’accès au capital social améliore considérablement le bien-être des ménages, mais son impact varie selon le genre et la localisation. Les femmes, tant en milieu urbain que rural, semblent tirer un bénéfice particulièrement important du capital social, avec un effet encore plus marqué pour celles vivant en zone rurale. Les hommes en milieu rural en profitent également de manière significative. Cependant, de façon surprenante, l’étude n’a pas décelé d’effet significatif pour les hommes en milieu urbain. Bien que l’étude n’ait pas démontré d’effets directs du capital social sur la résilience pour tous les groupes, elle suggère que celui-ci renforce indirectement la capacité des ménages à faire face aux chocs en améliorant leur bien-être général. Le capital social agit comme un catalyseur, facilitant le partage des ressources, l’entraide mutuelle et la diffusion d’informations cruciales au sein de la communauté. Il est important de noter que l’impact positif du capital social persiste même en tenant compte des inégalités de revenus, de genre et de lieu de résidence. Cette robustesse souligne son importance comme facteur de développement et invite à le considérer comme un élément clé dans l’élaboration des stratégies de développement au Togo, tout en prenant en compte les spécificités liées au genre et au contexte géographique.
Des effets différenciés selon le genre et le lieu de résidence
L’étude met en lumière des variations significatives dans l’impact du capital social au Togo, révélant des dynamiques complexes liées au genre et à la localisation géographique. Contrairement aux attentes initiales, les résultats montrent que les femmes, particulièrement en milieu rural, tirent un bénéfice substantiel du capital social, surpassant même celui des hommes dans certains cas. En milieu urbain, les femmes bénéficient également de manière significative du capital social, tandis que pour les hommes urbains, l’effet est moins prononcé, voire non significatif. Cette disparité souligne l’importance des réseaux sociaux et de l’entraide communautaire pour les femmes, possiblement en raison de leur rôle traditionnel dans la gestion du foyer et des activités économiques informelles. En milieu rural, bien que les hommes bénéficient considérablement du capital social, l’impact sur les femmes est encore plus marqué. Cela pourrait s’expliquer par l’importance accrue des structures communautaires dans les zones rurales et le rôle central des femmes dans ces réseaux. Ces nuances mettent en évidence la nécessité d’une approche différenciée dans les politiques de développement. Elles suggèrent que le renforcement du capital social pourrait être particulièrement bénéfique pour l’autonomisation des femmes et le développement rural. Parallèlement, elles invitent à explorer les raisons du moindre impact sur les hommes en milieu urbain, peut-être lié à des dynamiques sociales différentes ou à d’autres formes de capital plus prépondérantes dans ce contexte. Ces résultats ouvrent de nouvelles perspectives pour comprendre et exploiter le potentiel du capital social dans le développement au Togo, en tenant compte des spécificités de genre et de lieu de résidence pour maximiser son impact positif sur le bien-être et la résilience des ménages.
Implications pour les politiques publiques
Fort de leurs conclusions, les chercheurs proposent une stratégie multidimensionnelle pour optimiser l’impact du capital social sur le développement au Togo. Cette approche holistique s’articule autour de six axes complémentaires, visant à créer un cercle vertueux de progrès social et économique. Premièrement, le soutien aux revenus des ménages est préconisé à travers des programmes de transferts monétaires conditionnels et de microcrédits adaptés, ainsi que la promotion de l’épargne communautaire. Ces mesures visent à renforcer la résilience financière des familles, tout en stimulant l’économie locale. Deuxièmement, l’amélioration de l’accès aux services publics est jugée cruciale. Cela implique des investissements ciblés dans les infrastructures de base, particulièrement en zones rurales, ainsi que le renforcement des systèmes de santé et d’éducation communautaires. Ces actions contribueront à réduire les inégalités et à améliorer la qualité de vie des populations. Troisièmement, l’engagement civique est encouragé par la création de plateformes de dialogue, le soutien aux initiatives de budget participatif et la promotion du volontariat. Ces mesures visent à renforcer la cohésion sociale et la participation citoyenne. Quatrièmement, le développement d’un réseau associatif solide est recommandé, notamment par la simplification des procédures administratives et le soutien à la formation des responsables associatifs. Cela favorisera l’émergence d’initiatives locales et renforcera le tissu social. Cinquièmement, la promotion de projets de développement communautaire est mise en avant, impliquant les communautés dans la conception et la mise en œuvre des projets. Cette approche participative garantira une meilleure adéquation des interventions aux besoins locaux. Enfin, le renforcement des liens sociaux est encouragé à travers l’organisation d’événements culturels et la création d’espaces publics de rencontre. Ces initiatives favoriseront les échanges et la solidarité entre les communautés. En combinant ces différentes approches, les auteurs proposent de créer un environnement propice au développement du capital social, tout en tenant compte des spécificités de genre et de localisation géographique. Cette stratégie globale aspire à un développement durable et inclusif, où le renforcement du tissu social devrait s’accompagner d’une amélioration tangible des conditions de vie des Togolais.

Références
Akakpo, A. F., Sodokin, K., &Couchoro, M. K. (2024). Social capital, gender-based resilience, and well-being among urban and rural households in Togo. Journal of International Development, 1-49. https://doi.org/10.1002/jid.3958
Bertelsmann Stiftung. (2024). BTI 2024 Country Report — Togo. Gütersloh: Bertelsmann Stiftung.
Glaeser, E. L., Laibson, D., &Sacerdote, B. (2002). An economic approach to social capital. The Economic Journal, 112(483), F437-F458.
Institut National de la Statistique et des Études Économiques et Démographiques (INSEED). (2011). Questionnaire des Indicateurs de Base du Bien-être (QUIBB) 2011. Lomé, Togo : INSEED.
Institut National de la Statistique et des Études Économiques et Démographiques (INSEED). (2015). Questionnaire des Indicateurs de Base du Bien-être (QUIBB) 2015. Lomé, Togo : INSEED.
Kawachi, I., & Berkman, L. F. (2000). Social cohesion, social capital, and health. In L. F. Berkman & I. Kawachi (Eds.), Social epidemiology (pp. 174-190). New York: Oxford University Press.
Putnam, R. D. (2000). Bowling alone: The collapse and revival of American community. New York : Simon & Schuster.
Woolcock, M., & Narayan, D. (2000). Social capital: Implications for development theory, research, and policy. The World Bank Research Observer, 15(2), 225-249.