La question du capital humain est un défi de haut niveau pour le Niger, qui ne tient pas que par la lecture du classement IDH. L’éducation en situation d’urgence devient un impératif face à l’instabilité sécuritaire qui compromet l’accès à l’apprentissage pour des milliers d’enfants. Loin de se limiter à des chiffres et des indicateurs, le système éducatif nigérien fait face à des défis structurels, organisationnels et sécuritaires rendant encore plus difficile la garantie d’un droit fondamental : l’éducation pour tous.
Un système éducatif en difficulté face aux défis structurels et budgétaires
La question de l’éducation au Niger représente un enjeu de taille qui ne saurait se réduire à une simple évaluation statistique. En effet, la composante éducation de l’indice de développement humain est basée sur la période moyenne de scolarisation, aussi bien historique (pour les plus de 25 ans) que prévisionnelle (pour les enfants qui entament leur scolarisation). Le taux net de scolarisation au primaire du Niger, de 66,1% en 2016 [1] malgré les efforts, et sans grande évolution jusqu’en 2024, est parmi les plus bas d’Afrique subsaharienne.
Pour rattraper le retard en éducation, un engagement résolu et soutenu au niveau national est de mise pour à la fois augmenter les allocations budgétaires au secteur, assurer une meilleure couverture des besoins actuels et prendre en compte l’évolution de la population, dans un contexte de faiblesse constatée de l’efficacité de la dépense publique en éducation [2], qui se prolonge sur les résultats d’apprentissage. Parmi les défis, il faut aussi prendre en compte la faiblesse des infrastructures physiques (bâtiments scolaires), celle des compétences des enseignants, l’indisponibilité des manuels scolaires, la gestion insuffisante du secteur et des facteurs exogènes comme les mariages précoces qui impactent le taux d’achèvement scolaire chez les filles.
Un nœud important du problème étant lié à la performance des enseignants, on constate également que leurs conditions de recrutement (contractuels pour une bonne majorité) jouent un rôle décisif, au même titre que leur rémunération (inférieure à celle des fonctionnaires) et leurs qualifications (en grade et en formation pédagogique), compte non tenu du déséquilibre du ratio enseignants/élèves induisant des sureffectifs dans des zones urbaines et une pénurie dans les milieux ruraux [3]. Les effets du Programme sectoriel de l’éducation et de la formation (PSEF 2014-2024) ont permis l’identification des voies et moyens pour surmonter ces difficultés mais à ce jour beaucoup reste à faire.
Un impact direct de l’insécurité sur l’éducation : écoles fermées, élèves déscolarisés
On note que l’instabilité de la situation sécuritaire dans les régions de Tillabéri, Maradi, Tahoua et Diffa au Niger pose un défi majeur à l’accès à la continuité d’une éducation sûre, inclusive et de qualité pour les enfants, en particulier les déplacés internes, les réfugiés du Nigéria et les populations hôtes. En effet, il se constate que dans ces régions les conflits armés et déplacements de populations agissent de façon extrêmement négative sur l’accès des populations aux services sociaux de base dont les structures sont déjà fragilisées par les difficultés d’accès, les aléas climatiques, l’insécurité alimentaire et le manque de ressources de façon plus générale.
Dans la région de Diffa et Tillabéri, les attaques contre les écoles et les menaces contre les enseignants ont provoqué la fermeture de 845 écoles primaires soit 23,2 % des écoles primaires, ce qui se traduit inéluctablement par la déscolarisation d’au moins 738 000 élèves entre janvier et octobre 2022, pour lesquels les risques d’abandon ou de non-réalisation des apprentissages sont en augmentation.
Ainsi en fin d’année 2022 le Cluster Education avait recensé 34 écoles fermées dans la région de Tahoua en raison des conditions sécuritaires alors que dans la région de Maradi, les autorités faisaient face à l’augmentation des déplacements internes. Cela a amené le ministère de l’Éducation Nationale à identifier un certain nombre d’écoles (36) comme « centres de regroupement » pour répondre aux enjeux de la situation éducative et adresser les problématiques de protection des enfants des communautés hôtes, déplacées et réfugiées. C’est une mesure visant à un meilleur accueil et une continuité de l’éducation pour les enfants déplacés. Ces centres se trouvent dans des zones considérées comme sur les quatre régions et visent à accueillir des élèves venant des écoles situées dans les zones de conflits [4].
Des infrastructures scolaires précaires et sous-équipées
Une évaluation multicritère concernant les enseignants et intervenant a permis, là encore, de révéler quelques insuffisances. Le Cluster Education montre que 82,5% des enseignants ont le grade d’instituteurs et institutrices adjoints, étant pour 72 % d’entre eux des contractuels ne disposant de qualification que le niveau BEPC plus une année ou deux, et cela pour 76,5% d’entre eux ; avec une ancienneté de 5 ans ou plus pour 84 % d’entre eux, en sachant que seuls 54 % sont formés à l’appui psychosocial, 58 % à la préparation aux situations d’urgence et à la réduction des risques de catastrophes ; 30,5 % à l’éducation inclusive et 67 % sur la protection de l’enfance.
Pour ce qui est des infrastructures sur les 36 écoles, et en se concentrant uniquement sur les salles de classe, installations sanitaires, cantines scolaires, espaces et équipements de jeux ; le nombre total de salles de classe rapportées pour le Centre est de 469, soit une moyenne de 13 classes par école.Il se note que 47 % des salles de classe sont en dur, 27 % de type paillote, 14 % sont des structures évolutives et 13 % sont des espaces temporaires d’apprentissage. Dans 92% des cas, l’école ne dispose pas d’une salle équipée pour la direction durant l’année scolaire. Les cantines sont inexistantes dans 69 % d’entre eux et dans 58 %, il existe une infrastructure de jeu alors que dans 72 % des cas les activités récréatives ne sont pas organisées au sein de l’école [4].
Garantir l’éducation pour tous, un impératif
Ce qui précède démontre tout le défi qui se pose au système éducatif nigérien en situation d’instabilité renforcée. La question de l’éducation en situation d’urgence prend ainsi tout son sens et révèle l’importance de relever le défi du capital humain, tel que prévu au titre du Plan de développement économique et social (PDES 2017-2021). Face à ces difficultés, le Plan de transition du secteur de l’éducation et de la formation 2020-2022 et la stratégie nationale de réduction des vulnérabilités du système éducatif se confrontent à des menaces évolutives qui font de l’éducation en urgence une nécessité absolue pour garantir que chaque enfant ait accès à son droit fondamental à l’éducation. Au Niger comme ailleurs.

[1] FEINDOUNO, S. et M. GOUJON (2016a). The retrospective Economic Vulnerability Index, 2015update, FERDI Working Paper 147.
[2] INS-INSTITUT NATIONAL DE LA STATISTIQUE (2015a). Qualité de la dépense publique au Niger. Rapport final in [3]
[3] Rafael Aguirre Unceta, « Niger : la quête du développement dans un contexte adverse », FERDI, Décembre 2018 [4] Evaluation conjointe des besoins Education et protection de l’enfance dans les centres de regroupement au Niger, Cluster Education