Imagine Demain : TikTok et autres plateformes sociales en ligne sont-ils devenus les principaux espaces d’expression démocratique dans les pays africains francophones ?
InterGlobe Conseils : Les plateformes numériques comme TikTok, Facebook et X se sont effectivement imposées comme des espaces majeurs d’expression citoyenne en Afrique francophone. Grâce à l’accessibilité des smartphones et à la baisse du coût de l’internet, des millions de jeunes peuvent partager instantanément des vidéos de manifestations, des débats ou des appels à la mobilisation, contournant les censures des médias traditionnels.
Nous observons plusieurs phénomènes: au Sénégal, les mobilisations de 2021 autour de l’affaire Ousmane Sonko ont largement utilisé les réseaux sociaux pour contourner les restrictions médiatiques. En Côte d’Ivoire, lors des tensions post-électorales de 2020, ces plateformes ont servi d’alternative aux médias traditionnels souvent polarisés.
Par ailleurs, les réseaux sociaux servent aussi à organiser des manifestations, à suivre les leaders politiques et à débattre de questions publiques, comme lors des mobilisations anti-corruption en Zambie où 500 000 personnes suivaient en direct les dirigeants. Selon Statista, l’Afrique comptait en 2024, 384 millions d’utilisateurs de réseaux sociaux, un chiffre en forte croissance, notamment dans les régions les mieux connectées.
On assiste en parallèle, à une multiplication des fausses nouvelles et des discours haineux sur ces plateformes. Que peut-on faire pour y remédier ?
La désinformation représente effectivement l’une des principales menaces pour la démocratie numérique africaine. Les récents événements au Mali et au Burkina Faso ont montré comment les rumeurs peuvent alimenter les tensions intercommunautaires.
Pour y remédier, plusieurs pistes sont à privilégier. D’abord, renforcer l’éducation aux médias dès l’école afin de former les jeunes à vérifier les sources et à développer leur esprit critique. Ensuite, soutenir les initiatives de fact-checking indépendantes comme Africa Check, qui vérifie quotidiennement les contenus suspects dans une dizaine de pays africains et dispose désormais d’antennes locales au Sénégal, au Cameroun et en RDC.Des programmes tels que l’Africa Fact-checking Fellowship forment aussi des ambassadeurs spécialisés dans la lutte contre la désinformation, renforçant ainsi la confiance dans les institutions.
Ces recommandations sont soutenues par des rapports de l’OIF et de la Francophonie, qui insistent sur l’importance de collaboration entre États, société civile et plateformes s’avère indispensable pour préserver la liberté d’expression tout en luttant contre les contenus toxiques.
Les gouvernements doivent-ils renforcer leur surveillance des réseaux sociaux ? Jusqu’où peuvent-ils aller sans menacer les libertés numériques ?
Cette question cristallise les tensions actuelles entre sécurité et liberté d’expression. Les récents coups d’État au Mali, au Burkina Faso et au Niger ont intensifié ce débat, ces nouveaux pouvoirs ayant durci leur contrôle des espaces numériques.
La surveillance gouvernementale peut être légitime face aux appels à la violence ou aux campagnes de déstabilisation organisées. Toutefois, elle doit respecter trois principes fondamentaux : la proportionnalité, la transparence et le contrôle judiciaire préalable.
Le Sénégal offre un exemple intéressant avec sa loi sur la cybersécurité, qui prévoit des garanties procédurales strictes et des voies de recours. À l’inverse, certains pays ont adopté des textes trop vagues permettant une interprétation extensive, comme la loi camerounaise sur la cybercriminalité.
L’Africa Center for Strategic Studies met en garde contre « l’autoritarisme numérique » croissant sur le continent. Depuis 2019 on recense une croissance des coupures internet totales ou partielles dans les pays africains, souvent lors d’élections ou de manifestations.
L’équilibre réside dans des cadres légaux précis, une autorisation judiciaire préalable pour toute surveillance, et des mécanismes de recours effectifs. Les instances régionales comme la Cour de justice de la CEDEAO ont d’ailleurs commencé à se saisir de ces questions.
Certains gouvernements sont confrontés à des actions d’activistes bénéficiant de l’asile politique ou établis dans les diasporas, hors de portée des poursuites nationales. Cette situation ne risque-t-elle pas de provoquer des tensions, voire des conflits diplomatiques entre États ?
Effectivement, la présence d’activistes exilés, souvent bénéficiaires de l’asile politique, qui utilisent les réseaux sociaux pour critiquer leur gouvernement d’origine, peut créer des tensions diplomatiques. Les États visés peuvent qualifier ces propos d’ingérence et demander l’extradition des opposants, comme l’ont montré plusieurs tentatives récentes d’enlèvement ou de déportation d’opposants en exil, notamment à Nairobi.
Ce phénomène est amplifié par la capacité des réseaux sociaux à transcender les frontières, rendant difficile tout contrôle de l’information et des mobilisations politiques transnationales. Pour désamorcer ces tensions, il est crucial de recourir aux instances régionales comme la CEDEAO et de distinguer, dans le droit international, la critique politique légitime des véritables infractions à la sécurité. Les pays d’accueil, quant à eux, doivent protéger la liberté d’expression tout en luttant contre les discours incitant à la violence.
Dans plusieurs pays africains francophones, l’arsenal juridique en matière de cybersécurité et de lutte contre la désinformation s’est durci. Mais ces lois sont parfois instrumentalisées contre des journalistes et activistes critiques des gouvernements. Que peuvent faire les sociétés civiles pour défendre et garantir les libertés en ligne ?
Le durcissement des lois sur la cybersécurité et la désinformation est parfois utilisé pour réprimer les journalistes et les activistes. Face à ce risque, la société civile dispose de plusieurs leviers : créer des observatoires juridiques pour analyser les textes et déposer des recours devant les juridictions africaines des droits de l’homme ; soutenir les médias indépendants en leur offrant un hébergement sécurisé et une formation à la cybersécurité ; et lancer des campagnes de sensibilisation citoyenne pour exiger la révision des lois trop vagues ou répressives.
Il est aussi essentiel de renforcer les capacités de veille et de plaidoyer, de s’appuyer sur des réseaux internationaux pour relayer les cas de répression, et de multiplier les initiatives d’éducation aux droits numériques. Les coalitions entre ONG, journalistes et activistes sont cruciales pour mutualiser les ressources et défendre collectivement un espace numérique libre et démocratique.
Interview accordée à Imagine Demain par Lucile Escoffier, le 10 juin 2025.

Lucile, stagiaire analyste géopolitique chez InterGlobe Conseils et étudiante en Sciences Politiques et Relations Internationales à l’UniversityCollege London (UCL) spécialisée dans les dynamiques géopolitiques en Afrique et au Moyen-Orient, aspire à poursuivre une carrière dans le conseil en risques politiques et environnementaux.