Dans cet entretien dense et inspirant, le fondateur du Groupe Scientifique SIGMA revient sur le parcours singulier qui l’a conduit à ériger l’un des projets éducatifs les plus ambitieux du Togo et de l’Afrique de l’Ouest. Nourri par une enfance modeste, une exigence personnelle radicale et une foi profonde dans la puissance transformatrice de la science, il expose les fondements intellectuels, stratégiques et pédagogiques d’un établissement qui, du collège à la classe préparatoire scientifique, entend former une élite africaine rigoureuse, intègre et visionnaire. À travers un modèle alliant exigence académique, innovation pédagogique et partenariats internationaux, SIGMA se donne pour mission de bâtir une nouvelle génération de scientifiques africains capables non seulement de maîtriser les savoirs, mais de les produire, de les incarner et de les mettre au service de la souveraineté du continent.
Pouvez-vous nous parler du parcours académique et professionnel qui vous a conduit à fonder le Groupe Scientifique SIGMA ?
Mon parcours est celui d’un ingénieur civil passionné par la rigueur, la vérité et l’impact. Formé à la science dure, j’ai rapidement compris que le véritable levier de transformation de l’Afrique résidait dans la maîtrise du savoir scientifique et technologique. Après plusieurs années dans le monde de l’ingénierie et du conseil stratégique, j’ai pris conscience que le continent avait besoin de creusets d’excellence capables de former une élite scientifique, intègre et lucide. Le Groupe Scientifique SIGMA est né de cette conviction.
Quels sont les moments clés de votre parcours et de votre carrière qui ont influencé votre engagement pour l’éducation scientifique ?
J’ai grandi dans un milieu extrêmement modeste où, d’aussi loin que je me souvienne, j’ai découvert — au contact d’une amie mieux lotie et ayant des livres et un répétiteur — tout ce qu’une école devrait promettre à ses élèves. Ensuite, en ayant eu des résultats élogieux au BEPC, j’ai été récupéré de mon village par des inspecteurs venus de Kara, qui m’ont inscrit dans cette ville où j’ai par la suite eu la chance d’intégrer le prestigieux Collège Chaminade. Cette bascule a été suffisamment marquante dans ma vie pour graver dans ma mémoire et dans mes gènes ce que je dois à l’école.
Après, deux moments m’ont marqué profondément. Le premier, c’est lorsque j’ai encadré un groupe d’élèves en difficulté avant l’examen du baccalauréat et vu leur potentiel se révéler par une méthode exigeante mais bienveillante. À l’époque, j’étais jeune ingénieur en mission sur un projet routier dans la zone de Kévé au Togo. Le second, plus personnel, a été mon passage en formation dans des institutions à l’international, où la science était vivante, disputée, honorée. J’ai compris que si nous ne créions pas ces environnements ici, dans notre pays, nous continuerions à importer des savoirs que nous devrions produire nous-mêmes.
Enfin, impératif non moins personnel, j’ai toujours voulu offrir aux autres une meilleure chance que celle que la vie m’a offerte. De quoi forger un impact durable.
Quelles étaient vos motivations initiales lorsque vous avez lancé le Groupe Scientifique SIGMA ?
Créer une école qui ne se contente pas d’enseigner, mais qui forge. Une école qui élève, structure et engage les esprits. J’étais animé par le besoin d’incarner une alternative crédible face à la décrue de l’exigence scientifique dans les écoles et à la fuite des cerveaux. Je voulais une institution qui donne aux jeunes Africains non seulement les outils pour comprendre le monde, mais aussi l’audace de le transformer sur une base scientifique.
En quoi votre vision du développement scientifique peut-elle contribuer à l’émergence de l’excellence académique en Afrique ?
L’excellence académique n’est pas une abstraction. Elle naît de l’alliance entre exigence, discipline, méthode et inspiration. Le développement scientifique que je prône repose sur la rigueur du raisonnement, l’expérimentation, l’analyse critique et la recherche permanente de sens. C’est en valorisant ces piliers que nous pouvons faire émerger une élite scientifique africaine qui ne soit pas dans la reproduction, mais dans l’invention.
Pourquoi avoir choisi de créer une école scientifique couvrant le collège, le lycée et la classe préparatoire scientifique ?
Parce que l’excellence se cultive dans la continuité. Il nous fallait une chaîne complète, cohérente, capable de forger l’esprit scientifique dès le plus jeune âge et de l’emmener jusqu’aux plus hautes exigences de la préparation aux grandes écoles. D’ailleurs, nous prévoyons d’intégrer à terme le primaire et avons la ferme intention, après avoir consolidé les classes préparatoires, d’aller vers l’ouverture d’une école d’ingénieurs et d’une école doctorale. Car, en effet, en maîtrisant chaque maillon, SIGMA peut assurer une trajectoire ascendante, sans rupture, où chaque étape prépare la suivante et débouche, in fine, sur un plus gros impact au bénéfice de l’Afrique en général et du Togo, en particulier.
Quels sont les objectifs principaux que vous visez avec le collège, le lycée et la classe préparatoire scientifique ?
Au collège : éveiller l’intelligence, la curiosité et le goût du raisonnement. Au lycée : affermir les méthodes, former au travail profond, construire l’endurance intellectuelle. En classe préparatoire : viser l’excellence académique absolue, permettre l’accès aux meilleures institutions scientifiques du monde, mais surtout, former des esprits capables d’initiatives et de leadership scientifique.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la pédagogie unique et les approches innovantes adoptées par SIGMA ?
SIGMA repose sur une pédagogie de l’exigence structurée. Nous mettons l’accent sur la rigueur, la répétition intelligente, le retour d’erreur, l’approche par projet, et surtout la mise en situation réelle. Nos élèves sont exposés très tôt aux travaux pratiques, aux défis scientifiques et technologiques, aux concours et aux interventions de professionnels inspirants. Nous intégrons aussi des modules transversaux : oratoire, éthique, économie familiale et sociale, entrepreneuriat, leadership ainsi que l’intelligence économique.
Comment sélectionnez-vous les enseignants et les élèves pour maintenir l’excellence académique ?
Nous recrutons des enseignants qui ont à la fois la maîtrise des contenus, la passion de transmettre et une posture de modèle. Cinq étapes sont à franchir par les enseignants après l’étude de leurs dossiers : un test de connaissances générales de l’enseignement, une évaluation en situation devant une classe fictive, une épreuve écrite et un débriefing. Cinq membres de jury suivent chaque étape, parmi lesquels deux enseignants chevronnés de la matière spécialité de l’enseignant, deux inspecteurs et un expert en éducation qui, selon une grille, classent les candidats dans un processus totalement transparent. Nous réalisons, et ceci est la dernière étape, une due diligence académique visant à vérifier et valider les références professionnelles, l’honorabilité, les qualifications et l’éthique professionnelle de nos enseignants. Leur contrat n’est signé qu’au terme de cette ultime étape.
Quant aux élèves, ils sont sélectionnés non seulement sur la base de leur potentiel académique, mais aussi de leur disposition à endurer l’exigence, à s’engager pleinement. Voilà pourquoi, au terme de l’analyse des dossiers, nous validons leur profil et évaluons leurs aptitudes selon nos critères à travers un concours d’entrée. Ce n’est pas une école d’élus, mais une école de volontaires pour la difficulté féconde.
Pourquoi avez-vous décidé de lancer une classe préparatoire scientifique et quels sont vos objectifs à long terme pour ce programme ?
Parce que l’Afrique a besoin de former ses propres ingénieurs, chercheurs, bâtisseurs de systèmes. La classe préparatoire SIGMA vise à donner aux meilleurs profils africains les armes pour intégrer de grandes écoles parmi les plus sélectives, mais aussi pour créer les leurs demain. À terme, nous voulons que SIGMA devienne un label africain de formation scientifique d’élite.
Quels défis avez-vous rencontrés lors de la mise en place de ce projet et comment les avez-vous surmontés ?
Le scepticisme d’abord : beaucoup doutaient de la faisabilité d’un tel niveau d’exigence ici. Ensuite, les ressources humaines : trouver des enseignants et du personnel capables de répondre à nos standards. Enfin, la logistique et les moyens. Nous avons surmonté tout cela par une foi radicale dans notre mission, par le travail méthodique, et par l’engagement collectif d’une équipe fondatrice exceptionnelle.
En quoi la classe préparatoire SIGMA se distingue-t-elle des autres structures similaires dans la sous-région ?
Par la rigueur du programme, le suivi individualisé, l’alliance entre science, leadership et entrepreneuriat. Nos élèves ne sont pas seulement formés pour réussir un concours ou pour intégrer une école de facto, mais pour penser et agir dans le monde. Nous intégrons des modules d’éthique, de philosophie, d’oratoire scientifique, de responsabilité citoyenne et de protection environnementale en vue de les accompagner dans le parachèvement de leur montée en compétence. Et nous les connectons à des institutions internationales dès la première année tout en leur offrant des séjours immersifs à l’international.

Le Groupe SIGMA a signé un partenariat avec le CESI en France. Quels en sont les avantages pour les élèves et pour SIGMA ?
Ce partenariat ouvre aux élèves les portes d’une grande école d’ingénieurs reconnue en Europe, tout en renforçant notre crédibilité institutionnelle. Pour SIGMA, c’est une reconnaissance de notre sérieux. Pour les élèves, c’est une chance de poursuivre leurs études dans un environnement d’excellence tout en bénéficiant de l’accompagnement continu de notre structure. CESI, par sa pédagogie et son cadre tourné vers la performance et le monde de l’entreprise, se positionne comme un établissement dont les particularités résonnent singulièrement avec les nôtres. D’ailleurs, nous sommes allés beaucoup plus loin en signant à trois avec l’Université de Lomé et travaillons déjà à l’implémentation d’un Bachelor ABET (Accreditation Board for Engineering and Technology) qui promettra bien des perspectives aux étudiants togolais.
Avez-vous d’autres partenariats ou collaborations internationales en perspective ?
Oui, plusieurs discussions sont en cours avec des universités au Canada, des écoles d’ingénieurs en Allemagne et des institutions de recherche africaines. Notre objectif est de bâtir un réseau stratégique pour que SIGMA devienne une plateforme d’excellence connectée à tous les continents.
Outre la France où nous avons récemment signé avec l’Ecole Supérieure des Agricultures et l’ITECH Lyon, et les États-Unis, partenaires traditionnels, et en Afrique, le Ghana, le Maroc et le Rwanda ; nous sommes fortement liés aux Indiens avec qui nous tenons quatre partenariats éloquents de qualité et de productivité à la faveur exceptionnelle des bourses offertes dans le cadre du programme gouvernemental Study in India. NIM’S University, SRM University, VIGNAN’S University et Vellore Institute of Technologies margent dans le Top 75 des meilleures universités sur plus de 1300.
Mais il me plaît d’insister sur notre collaboration avec l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) au Canada, avec laquelle nous nous apprêtons à signer une convention de partenariat pour la mise en place d’une classe préparatoire scientifique d’une année dont la vocation sera de former les profils africains intéressés par cette destination dans un cadre complet et exigeant, donc de nature à leur offrir le meilleur des possibles de cette université dont la réputation la devance toujours. Je vous invite d’avance, ainsi que vos lecteurs, à la conférence de presse que nous organiserons le 20 juin prochain dans les locaux de SIGMA et aux Journées portes ouvertes qui se tiendront le lendemain.
Comment les entreprises ou institutions locales peuvent-elles contribuer au développement de SIGMA ?
En parrainant des élèves méritants, en accueillant nos étudiants en stage, en participant à nos conférences scientifiques ou en contribuant au financement de voyages d’immersion pour les étudiants ou de formation pour les enseignants dans nos institutions partenaires à l’étranger. Plus profondément, en reconnaissant SIGMA comme un vivier d’élite pour leurs recrutements futurs.
Quel est, selon vous, l’impact du Groupe SIGMA sur la jeunesse scientifique au Togo et en Afrique de l’Ouest ?
SIGMA est en train de faire bouger les lignes. Nous avons réinstallé la fierté d’être un jeune scientifique. Nous avons montré qu’il est possible d’atteindre l’excellence en partant d’ici. Chaque élève formé est une graine d’espérance pour une Afrique qui produit, innove et rayonne.
Quelle est votre vision à long terme pour SIGMA dans les 10 à 20 prochaines années ?
Devenir un institut scientifique panafricain, avec des antennes dans plusieurs pays, un centre de recherche appliquée, un pôle d’innovation technologique, et une académie du leadership scientifique. Je rêve d’un SIGMA qui devienne une puissance intellectuelle structurante pour l’Afrique.
En quoi le développement scientifique peut-il jouer un rôle dans la transformation économique et sociale de l’Afrique ?
La science, c’est le pouvoir de comprendre, de prévoir et d’agir. Sans elle, il n’y a ni souveraineté technologique, ni industrialisation, ni santé publique durable. Le développement scientifique est donc la colonne vertébrale de toute transformation structurelle sérieuse du continent.
Qui sont vos modèles ou sources d’inspiration dans le domaine de l’éducation et du développement scientifique ?
Je suis inspiré par des figures comme Cheikh Anta Diop, qui ont incarné à la fois la rigueur scientifique et l’engagement africain. J’admire aussi des bâtisseurs d’institutions comme Dr Lavu Rathaiah, Fondateur de VIGNAN’S University en Inde, dont la culture de l’exigence m’a profondément marqué. Et je me nourris des expériences asiatiques, notamment coréennes, en matière d’éducation scientifique de masse.
Quels conseils donneriez-vous aux entrepreneurs et leaders africains qui souhaitent investir dans l’éducation ?
Très clairement : oser penser l’excellence. Ne pas transiger avec la qualité. Investir dans les hommes et non dans les infrastructures seules. Et surtout, bâtir des institutions, pas des projets. L’éducation n’est pas un coup, c’est une œuvre.
Que diriez-vous aux jeunes Africains qui rêvent de réussir dans les sciences ?
Tenez bon ! Exigez beaucoup de vous-même. Aimez les difficultés. Et souvenez-vous que la science ne se donne qu’à ceux qui la respectent. Vous avez le droit de rêver grand. Mais plus encore, vous avez le devoir de travailler dur.
Quels projets ou initiatives spécifiques prévoyez-vous pour renforcer encore plus le rôle de SIGMA dans l’éducation scientifique ?
Nous prévoyons de lancer une plateforme de promotion des sciences appliquées en Afrique et de développer des séries éducatives audiovisuelles accessibles au grand public. SIGMA doit sortir de ses murs pour éclairer le continent.