par Pierre-Samuel Guedj, Président d’Affectio Mutandi
On présente souvent Israël comme la « start-up nation » par excellence. Un petit pays, peuplé d’à peine dix millions d’habitants, mais doté d’un écosystème technologique rivalisant avec ceux de la Silicon Valley ou de Shenzhen. Intelligence artificielle, cybersécurité, agritech, watertech, énergie solaire décentralisée, healthtech : les solutions foisonnent, portées par une culture de l’innovation, du risque et de la résilience.
La question est désormais cruciale : comment cet écosystème peut-il devenir un levier de développement économique, social et durable pour le continent africain ?
L’urgence africaine appelle des réponses technologiques
Le continent est confronté à des défis immenses : croissance démographique fulgurante, urbanisation galopante, insécurité alimentaire chronique, accès à l’eau et à l’électricité encore trop limité, pression climatique croissante. Ces réalités ne sont pas abstraites : elles touchent chaque jour des millions d’Africains. Et c’est précisément dans ces secteurs vitaux — agriculture, énergie, eau, santé, éducation — que l’écosystème israélien a forgé ses forces.
Prenons l’irrigation de précision : née dans un contexte de pénurie d’eau en Israël, elle permet de cultiver le désert. Appliquée à l’Afrique, elle peut transformer des zones arides en terres productives, réduire la dépendance alimentaire et libérer un potentiel exportateur agricole colossal. De même, les générateurs d’eau atmosphérique développés en Israël offrent une réponse tangible aux communautés rurales isolées, où les enfants marchent parfois des heures pour accéder à une source incertaine.
L’énergie solaire décentralisée constitue un autre levier majeur. Des ONG israéliennes déploient déjà des systèmes photovoltaïques pour alimenter des cliniques, des écoles et des villages entiers en Afrique subsaharienne. Chaque panneau installé ne se traduit pas seulement en kilowatts : il se traduit en vaccins préservés, en cours dispensés le soir, en femmes libérées de la corvée d’eau.
L’innovation n’a de sens que si elle s’ancre localement
Pourtant, la promesse technologique n’est pas une baguette magique. Trop souvent, des solutions importées échouent faute d’adaptation aux réalités locales, faute de formation ou faute de modèle économique viable. Le risque serait que l’Afrique devienne simple « marché » ou terrain d’expérimentation, au lieu d’être partenaire à part entière.
L’innovation ne produira de valeur durable que si elle est coproduite. Cela suppose de former des techniciens, d’ouvrir des centres d’assemblage, de transférer des compétences. Une pompe solaire israélienne n’est utile que si un jeune technicien africain peut la réparer sans attendre une pièce importée. Une plateforme d’agriculture connectée ne transformera pas les rendements si les coopératives paysannes ne sont pas impliquées dès la conception.
Des partenariats gagnant-gagnant à inventer
Ce qui se joue ici dépasse la simple coopération technologique. Il s’agit de refonder les relations économiques entre Israël et l’Afrique sur un mode partenarial. L’Afrique ne veut plus d’assistanat ni de dépendance : elle veut des partenariats où chaque partie grandit.
Israël a su transformer ses contraintes en opportunités par l’innovation. L’Afrique, confrontée à des contraintes plus vastes encore, peut s’inspirer de cette approche — tout en le faisant à sa manière, en intégrant sa diversité culturelle, ses ressources humaines et ses priorités.
Les gouvernements africains ont un rôle clé : créer des cadres réglementaires incitatifs, encourager l’assemblage local, protéger la propriété intellectuelle tout en imposant des obligations de transfert de savoir-faire. Les investisseurs internationaux doivent, eux, soutenir des modèles hybrides (ONG + entreprises) et favoriser des financements adaptés, comme le paiement à l’usage (PAYGO) ou le micro-crédit agricole.
L’innovation comme diplomatie
Il y a enfin une dimension géopolitique. L’Afrique est courtisée : Chine, États-Unis, Europe, Golfe… Dans ce concert, Israël peut se distinguer non par la taille de ses investissements, mais par la pertinence de ses solutions. En Afrique, un projet d’irrigation qui triple un rendement agricole est bien plus puissant qu’une promesse de milliards jamais décaissés. L’innovation devient ici instrument de diplomatie, ciment de confiance et passerelle entre voisins.
En somme, saisir l’opportunité du siècle
L’Afrique n’a pas besoin qu’on lui impose des solutions toutes faites. Elle a besoin de partenaires qui croient à son potentiel et respectent son autonomie. L’écosystème israélien, s’il se met au service de cette vision, peut devenir un catalyseur de transformation sans précédent.
La décennie 2025–2035 sera décisive : elle dira si l’Afrique subit la révolution technologique mondiale ou si elle en devient actrice. La rencontre avec la start-up nation israélienne peut, si elle est bien pensée, accélérer cette appropriation.
Ce n’est pas une option : c’est une opportunité historique à saisir, pour bâtir ensemble une prospérité qui soit à la fois économique, sociale et durable.

