Le forum « BOAD Development Days », organisé les 12 et 13 juin à Lomé par la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD), avait pour thème : « Le financement de la transition énergétique et de l’agriculture durable : défis, opportunités et solutions ».
L’événement a réuni de nombreuses parties prenantes, notamment des banques multilatérales de développement.
Parmi les participants figurait Adama Mariko, directeur exécutif à la Mobilisation, aux Partenariats et à la Communication du groupe Agence française de développement (AFD). Il a participé au forum au nom de Finance in Common, un réseau mondial de banques publiques de développement, dont il est le secrétaire général.
Imagine demain : Lors de vos interventions, vous représentiez Finance in Common. Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est ce réseau mondial ?
Adama Mariko : « Finance in Common » est une coalition créée en 2020, qui regroupe 530 banques publiques de développement dans le monde. Quand on parle de banque publique de développement, on pense d’abord à la Banque mondiale ou à la Banque africaine de développement (BAD), car ce sont des banques multilatérales. On n’imagine pas souvent qu’il existe également des institutions nationales qui travaillent pour leur pays, qui financent sans être connues à l’international. Et cela vaut aussi bien pour l’Afrique que pour les pays développés. En France, par exemple, la Caisse des Dépôts et de Consignations est la plus ancienne banque publique du monde, avec plus de 200 ans d’existence, et elle finance uniquement en France.
J’en profite pour préciser ce qu’est une banque publique, terme générique désignant un organisme public détenu par l’État, sans réseau bancaire commercial, qui réalise des financements directs ou indirects, comme le FSA (Fonds de solidarité et de garantie). Ces organismes participent au financement des politiques publiques nationales ou régionales dans le cadre du système financier public. Les caisses de dépôt, par exemple, sont aussi des banques publiques, même si elles n’ont pas le statut bancaire officiel. Ce sont des organismes de financement du développement.
Il existe aussi des organismes publics qui financent l’entrepreneuriat, détenus par l’État, et qui réalisent des opérations directes.
Qu’en est-il des banques publiques en Afrique ?
En Afrique, il existe de nombreuses banques publiques, réparties de manière inégale selon les pays, mais on en compte environ une centaine selon la définition adoptée. Cela représente environ 20 % des banques publiques dans le monde. Le problème est leur taille : elles sont très petites. En additionnant la Banque africaine de développement et toutes les banques publiques existantes comme la Banque Ouest Africaine de Développement, Afreximbank, TDB, ou encore les banques de développement d’Éthiopie, du Malawi, d’Afrique du Sud ou du Maroc, on atteint un total de 230 milliards de dollars de bilan, soit à peine 1 % du total mondial. C’est peu.
Même si le nombre est élevé, la taille reste modeste. À titre de comparaison, la Caisse des Dépôts française dispose d’un total de bilan de 1 300 milliards d’euros, soit davantage que toutes les banques publiques africaines réunies. Cela illustre leur faible envergure, mais aussi leur potentiel de croissance. Ces banques peuvent jouer un rôle crucial dans le financement des économies locales. C’est un levier encore insuffisamment exploité par les États. Elles doivent être renforcées. Notre message, c’est qu’avec la nouvelle présidence de la Banque africaine de développement, il faut intégrer l’ensemble du système financier en partant de cette banque de développement majeure qu’est la BAD. Il faut également renforcer les banques nationales, augmenter leur capital, leur permettre d’accéder aux marchés financiers et de fonctionner en tant qu’institutions indépendantes.
Quelles sont vos priorités pour Finance in Common ?
Nous cherchons à donner une voix à ces banques dans l’architecture financière internationale. Il s’agit donc d’accompagner leur représentation au niveau mondial, car elles sont souvent peu visibles et ignorées. Grâce à la coalition Finance in Common, elles participent désormais aux négociations du G20, des Nations unies, et autres rencontres internationales. Elles ont ainsi une place dans les grands débats globaux. Il n’y a plus de distinction entre banques multilatérales, nationales ou régionales, africaines, asiatiques ou latino-américaines : nous avançons ensemble.
Ensuite, nous voulons renforcer la capacité institutionnelle des banques publiques, notamment en augmentant leur capital, en les rendant plus actives sur les marchés financiers, plus solides.
Enfin, nous avons pour mission de regrouper ces banques en coalitions thématiques afin de favoriser les synergies et les échanges de savoir-faire. Une banque peut appartenir à plusieurs coalitions. Par exemple, sur la question du financement de l’eau, elle peut apprendre de l’expérience d’une banque mexicaine ou indienne dans une logique de coopération Sud-Sud, ou monter des projets transfrontaliers ou régionaux via la coalition thématique sur l’eau.
Il existe également une coalition dédiée à l’agriculture, très active, créée en 2021, et qui regroupe des banques publiques volontaires. Certaines sont spécialisées dans l’agriculture, d’autres plus généralistes avec un portefeuille agricole. Le FIDA et l’AFD ont uni leurs forces pour créer cette coalition des banques agricoles, visant le financement de systèmes agricoles durables. Elle aide les banques à développer des outils d’assistance technique et à financer leur mise en œuvre. Par exemple, une banque au Malawi ou au Mali peut chercher à financer efficacement des portefeuilles agricoles durables. D’autres banques peuvent l’y aider en partageant leurs produits, techniques, formations ou en offrant un appui financier pour renforcer les équipes, améliorer les outils et déployer les solutions.
La coalition sur l’agriculture donne-t-elle des résultats satisfaisants ?
La coalition fonctionne bien. Elle a été lancée en 2021. Après une phase de recherche de financements, au cours de laquelle j’ai personnellement signé une première subvention d’un million d’euros accordée par le FIDA, ce dernier a mobilisé d’autres ressources, mis en place un secrétariat et lancé un site internet. Aujourd’hui, 151 membres y sont actifs, avec des activités régulières. Des équipes ont été recrutées pour animer la coalition, qui déploie désormais ses premiers financements.
Quels impacts concrets cette coalition thématique « Agriculture » peut-elle avoir sur le secteur agricole en Afrique ?
Ce ne sont pas des impacts immédiats, même si certains peuvent l’être, mais ils s’inscrivent plutôt dans le long terme. Imaginez un pays dont le ministère de l’Agriculture dispose d’un plan ambitieux. Financer l’agriculture est complexe, un peu comme le financement des villes. Acheter une voiture ou une maison est relativement simple, créer une entreprise aussi, mais financer des intrants agricoles est plus compliqué. Les résultats attendus dépendent de nombreux facteurs : marchés internationaux, aléas climatiques, risques d’inondation, etc. Ce n’est pas le métier habituel d’un banquier classique. Une banque de développement peut apprendre ce métier, former ses équipes, créer des outils d’évaluation de la rentabilité des systèmes agricoles, ce qui améliore la qualité du financement.
Parfois, on pense qu’il suffit d’avoir de l’argent. Mais si les fonds sont mal utilisés, ils deviennent inefficaces. Structurer ces banques est donc une étape préalable essentielle. L’impact immédiat, c’est l’amélioration de la capacité des banques africaines à financer des systèmes agricoles durables.
Entretien réalisé par Joseph Mensah-Boboe.