Expert en bonne gouvernance et juriste, Paul Amegakpo dirige l’Institut Tamberma pour la Gouvernance, un think-and-do tank engagé dans la promotion du civisme au Togo et en Afrique, à travers la participation citoyenne et la gouvernance démocratique. Nous l’avons interrogé sur la récente formation du gouvernement au Togo.
Imagine Demain : Quel décryptage faites-vous de la formation de ce gouvernement ?
Paul Amegakpo : La formation de ce gouvernement était d’autant plus attendue par les citoyens qu’il s’agissait du premier à être mis en place après les réformes constitutionnelles de la 5ᵉ République. D’autant que, selon l’article 95 de la Constitution de la 5ᵉ République, sa mise en place, comme celles des autres institutions issues de cette nouvelle République, devait intervenir dans les douze mois de transition prévus.
Ainsi les attentes des citoyens se focalisent sur l’effectivité institutionnelle de la nouvelle constitution. C’est à partir de là que les autorités publiques pourront être évaluées par les citoyens, notamment en ce qui concerne la délivrance des services publics, la protection des institutions, des citoyens, la défense du territoire, la promotion des droits humains ainsi que sur la planification des programmes qui favoriseront le développement individuel et collectif.
S’agissant du gouvernement formé, nous constatons qu’il s’agit d’une équipe resserrée de 27 membres, ce qui est une bonne chose. Cela permet des économies et favorise une meilleure concentration des efforts gouvernementaux sur l’essentiel. Cependant, on peut s’interroger sur le fait qu’un tiers de ses membres soient des ministres délégués. S’agit-il d’un choix motivé par l’efficacité, ou plutôt du signe d’un manque de personnalités de confiance pour Faure Gnassingbé ? L’avenir nous le dira.
Alors que le pouvoir a été confronté à des contestations nées sur les réseaux sociaux, et même si les autorités togolaises estiment que la santé du pays s’est beaucoup améliorée, ce nouveau gouvernement ne devrait-il pas être celui des grands défis, voire des miracles attendus ?
Ce nouveau gouvernement est effectivement celui des défis, car ils sont nombreux.
Au cours des 12, voire 24 derniers mois, le pays a connu des pénuries d’électricité accompagnées de délestages, une situation que le Togo n’avait plus connue depuis près de dix ans. Or, la disponibilité de l’énergie et à coût abordable est essentielle, car elle est à la base de toute productivité économique. En manquer, c’est ralentir la croissance du pays.
Au-delà de l’énergie, se pose également la question des infrastructures, dont plusieurs sont aujourd’hui dégradées. On évoque souvent la nationale N°1, mais d’autres artères, y compris les rues et ruelles des villes et villages. Nonobstant les programmes importants mis en œuvre pour le développement des pistes rurales, ainsi que la construction et le bitumage de certaines voies, les autres voies nationales apparaissent aussi comme un enjeu majeur. De même, l’aménagement des voies des quartiers de la capitale, Lomé, et d’autres villes secondaires du pays s’impose comme un impératif. Le portefeuille des Infrastructures et des Travaux publics devra relever ces défis.
Vient ensuite la question de la vie chère, de l’employabilité des jeunes. La vie devient de plus en plus chère et, même si les statistiques montrent une baisse du taux de pauvreté, force est de constater que, dans les communautés, celle-ci reste endémique.
Sur le plan social et politique, le Togo a connu ces derniers mois des remous, tant politiques que sociaux, notamment avec le secteur bancaire, qui avait récemment soulevé les boucliers. Il est donc essentiel de recréer les conditions d’un dialogue social renouvelé. L’ancien ministre de ce département, Gilbert Bawara, avait déjà consenti beaucoup d’efforts en ce sens. Aujourd’hui, son département étant rattaché à la présidence du Conseil, cela montre que le président du Conseil comprend la sensibilité des questions sociales.
L’ensemble de ces défis mérite une prise en compte rigoureuse par le nouveau gouvernement. Disposer d’une équipe resserrée permet justement de concentrer davantage les énergies pour y faire face.
Que vous inspire la réduction du nombre de membres dans cette équipe gouvernementale ?
La réduction de 36 à 27 portefeuilles est à saluer. Elle marque un bond qualitatif du Togo vers une rationalisation des dépenses publiques liées au fonctionnement de l’administration à travers les différents ministères.
Cependant, des interrogations subsistent quant au nombre relativement élevé de ministères délégués, qui représentent un tiers de l’ensemble des départements ministériels. Cela pose question : est-ce un moyen de développer des super ministères ? Ou bien une stratégie d’avoir une meilleure solidarité au sein de l’équipe gouvernementale ?
Dans une logique institutionnelle et politique, cela pourrait être efficace pour faciliter le contrôle exercé par le président du Conseil sur son équipe gouvernementale. La recherche d’efficacité à travers une équipe plus resserrée est une bonne chose en soi, tant pour l’efficacité que pour l’efficience.
Mais le vrai problème que cela soulève est le risque que les ministères délégués ne soient pas suffisamment redevables en termes de performance ou de contre-performance des services publics qu’ils sont censés délivrer. Car à partir du moment où ces ministères dépendent d’une tutelle, il peut arriver que seule cette dernière soit tenue de rendre compte de la gestion du département. Or, la reddition de comptes devrait concerner l’ensemble des membres du gouvernement, à la fois individuellement et collectivement.
Il est important de voir dans quelle mesure ces neuf ministères délégués pourront pleinement assumer leurs responsabilités, à travers la feuille de route qui leur est assignée, et rendre compte non seulement au chef du gouvernement , qui est le président du Conseil, mais aussi, directement, au peuple togolais, de la manière dont ils gèrent les affaires de leurs départements respectifs.
Pensez-vous que la création de super-ministères renforcera l’efficacité du gouvernement ?
La création de super-ministères est une conséquence directe de la réduction ou de la rationalisation du nombre de départements ministériels.
Dans la majorité des cas, ces super-ministères concernent des domaines régaliens, donc des portefeuilles de souveraineté comme l’administration territoriale, les affaires étrangères, l’éducation, la santé, l’industrie, l’aménagement du territoire, ou encore l’urbanisme. Ce sont des domaines importants qui doivent permettre de mettre en marche l’action gouvernementale et susciter des impacts positifs quant à la délivrance des services publics.
Ces super-ministères auront donc de lourdes responsabilités : ils devront mieux animer les affaires sectorielles.
Il faudra observer comment cette structure gouvernementale contribuera à plus de cohésion et à une meilleure efficacité dans la mise en œuvre de l’action gouvernementale.
Il y a aussi une portée politique à cette structuration. On peut y voir la volonté du président du Conseil, qui, en réalité, fait office de Premier ministre, et qui est le seul chef de l’exécutif togolais, de réduire la hiérarchie du gouvernement, pour avoir un meilleur contrôle de la gestion gouvernementale. C’est pour cela qu’il faut remarquer qu’il n’y a pas, non plus, de ministre d’Etat.
Cela faciliterait le contrôle par le président du Conseil de l’ensemble des actions que les départements ministériels vont mener, mais surtout être la seule personne à qui ces différents ministres nommés devraient rendre directement compte.
Cela répond donc à une logique autant politique qu’administrative.
Le département de l’Économie et des Finances a été scindé en deux : d’un côté, le ministère des Finances et du Budget, et de l’autre, celui de l’Économie et de la Veille stratégique.
Pensez-vous que cette réorganisation pourrait permettre une gestion plus efficiente de ces domaines ? Cela pourrait-il entraîner un changement notable dans l’approche ou les résultats ?
La politique économique et la politique financière et budgétaire, sont deux aspects distincts de la gestion macro-économique d’un État.
La politique financière et budgétaire répond de l’exécution opérationnelle du budget de l’État à travers la loi des finances par un département ministériel qui est en charge de coordonner l’ensemble des actions de crédit et de dépenses publiques au niveau du Togo. En ce sens, rendre ce département autonome est une décision qui peut renforcer l’efficacité dans la mise en œuvre de la politique budgétaire.
De l’autre côté, la politique économique, surtout dans un environnement marqué par des chocs exogènes importants et des évolutions rapides au niveau national, nécessite une approche plus prospective. Il est donc pertinent de disposer d’un département dédié à l’anticipation des mutations économiques, aussi bien sur le plan international que local. Ce ministère peut ainsi se concentrer sur l’analyse stratégique, la dynamique de la production, la compétitivité des entreprises, la création de richesses et l’identification des leviers de croissance.
Séparer économie et budget est donc, selon moi, une bonne chose. D’ailleurs, ce type de cloisonnement existe déjà dans d’autres secteurs : par exemple, l’administration territoriale est souvent séparée de la décentralisation, la sécurité de la défense, la formation professionnelle de l’éducation nationale, et parfois l’enseignement primaire et secondaire de l’enseignement supérieur. Ces cloisonnements permettent d’avoir plus d’efficacité de l’action gouvernementale.
Dans le cas présent, je pense que cette scission relève clairement d’une volonté d’améliorer l’efficacité de la politique macroéconomique du Togo. Il faut rappeler que, malgré un taux d’endettement en hausse, le Togo est souvent cité comme un bon élève en matière de gestion macroéconomique. Cette réforme s’inscrit donc dans une logique de renforcement de cette performance.
Qu’est-ce que le rattachement des droits humains au ministère de la Justice pourrait changer ?
Faut-il s’attendre à un changement particulier ? Quels sont les défis pour ce département ?
La justice et les droits de l’homme vont de pair. Rattacher le ministère de la Justice à celui des Droits de l’Homme, et pourquoi pas renforcer ce ministère par le portefeuille en charge de la citoyenneté et de l’éducation civique, devrait permettre de promouvoir les droits fondamentaux et les libertés fondamentales au Togo.
Donc, cette réalité interpelle sur le titulaire de ce portefeuille qui, depuis les soulèvements du mouvement M66 à partir du mois de juin, avait joué un rôle important, tant sur le plan médiatique que dans des démarches visant à poursuivre les auteurs et commanditaires des manifestations que nous avons connues. Une approche répressive assumée par le gouvernement, et portée par le ministre des Droits de l’Homme de l’époque, M. Adjourouvi, qui est devenu aujourd’hui ministre de la Justice, garde des Sceaux, avec pour responsabilité les droits de l’homme.
Si la promotion de la citoyenneté à travers l’éducation civique, une collaboration accrue avec la société civile et les médias pour faire en sorte que les valeurs citoyennes et républicaines soient appropriées par les citoyens et mises en application, entre au cœur des préoccupations de ce département ministériel, qui passerait de stratégies politiques à des actions concrètes sur le terrain, ce super département devrait donc opérer un changement positif qui serait apprécié par les Togolais.
Nous pensons que c’est une chance pour le ministre M. Adjourouvi, qui a cette responsabilité, de démontrer que les droits de l’homme et la justice sont les deux faces d’une même médaille. Promouvoir ces deux valeurs à travers des politiques publiques concrètes pourrait amener à un changement appréciable au Togo en termes de respect des droits de l’homme, aussi bien par rapport aux normes nationales qu’aux conventions internationales auxquelles le Togo est partie.
Précisément, quels défis pour ce département ?
Les défis du département de la Justice et des Droits de l’Homme sont simples. Il s’agit de veiller à ce que les citoyens aient accès à la justice sans condition d’origine, de capacité sociale ou d’obédience politique. Il faut également s’assurer que la gestion des maisons carcérales respecte la dignité humaine, et que les compatriotes qui, à un moment donné, sont en infraction avec la loi,et qui en paient le prix par une privation de liberté, ne soient pas déshumanisés. Bien au contraire, des perspectives de réinsertion sociale devraient leur être offertes après avoir purgé leur peine.
Il faut aussi garantir que la justice ne soit pas manipulée, et qu’elle ne devienne pas un instrument politique utilisé pour régler des comptes. Les droits de l’homme doivent rester au cœur des préoccupations, et les libertés fondamentales, comme la liberté d’association, la liberté politique ou la liberté d’expression, doivent être sauvegardées, promues, et protégées par des lois justes et équitablement appliquées.
Un autre défi majeur réside dans la réforme de certaines lois qui, aujourd’hui, sont perçues comme liberticides ou non conformes aux engagements internationaux du Togo. Il est impératif de revoir ces textes pour qu’ils soient en adéquation avec les conventions et traités internationaux auxquels le pays a adhéré.
La Revue Périodique Universelle des Droits de l’Homme a d’ailleurs mis en évidence des régressions notables au Togo en matière de liberté de la presse, de liberté associative, de liberté de réunion, et même de liberté politique. Il faudra donc corriger cette tendance en adoptant de meilleures politiques et des mesures gouvernementales plus conformes aux standards internationaux, mais aussi aux principes constitutionnels qui protègent les libertés individuelles et collectives.

Entretien réalisé par Joseph MB.